El último lector est un roman de l’écrivain mexicain David Toscana. Son titre en espagnol est aussi celui de l’édition francophone.
Le premier chapitre s’ouvre sur la sécheresse qui touche la ville d’Icamole. Remigio découvre dans son puits le cadavre d’une jeune adolescente. Ne sachant que faire du corps, il va prendre conseil auprès de Lucio, son vieux père libraire. Alors, roman policier ? Pas exactement. Le lecteur ne saura jamais avec certitude qui est le véritable coupable du crime, même si la suggestion que fait Lucio à la police, qui mène à l’arrestation d’un homme, se révèle étonnante de perspicacité.
Le crime est surtout un prétexte pour maintenir éveillée l’attention du lecteur, car le roman se focalise sur le personnage du libraire, un homme curieux qui trie les livres en deux catégories : ceux qui méritent de figurer sur les étagères de sa librairie et ceux qui sont voués à l’enfer, une pièce condamnée où les cafards se goinfrent de papier. Tout au long de l’histoire, nous découvrons ses goûts et analyses littéraires, qui ne manquent pas d’intérêt. Les mots en trop ou inopportuns, les marques de produits, la peur de tuer les personnages, la morale faite par l’auteur, les tirets cadratins, rien ne résiste à son regard acéré. Il revient par ailleurs sur ses lectures favorites, dont La Mort de Babette, qui lui évoque l’enfant morte, ou le personnage historique de Don Porfirio ; et il mélange celles-ci à la réalité.
La grande, très grande, originalité de l’ouvrage consiste en la suppression des guillemets et autres tirets ; dans les paragraphes massifs se retrouvent pêle-mêle descriptions du narrateur, dialogues et citations de livres, présent et passé. Le plus étonnant est que la tambouille fonctionne : le lecteur devine toujours que cette phrase-ci provient de tel personnage et celle-là de tel livre, que celle-ci concerne l’instant présent et celle-là le passé. Son intelligence sollicitée par l’auteur s’est adaptée aux particularités de la narration. Le mérite en revient à Toscana, qui a réussi à individualiser chaque voix.
Autre amalgame, celui du genre. On a droit à du drame, à du policier, à de l’historique, à de l’amour, à du fantastique et même à de l’humour. Ainsi, Lucio, après avoir reçu une Bible de puritaines choquées par la profanation d’une relique, ouvre la Genèse à son premier chapitre et l’analyse d’un point de vue littéraire : « Au commencement Dieu créa les cieux et la terre. Il nie de la tête. Pourquoi préciser que le commencement est le commencement ? Il raye les deux premiers mots et lit à voix haute : Dieu créa les cieux et la terre. Beaucoup mieux, se dit-il. » (p. 131) « Ce n’est pas la première fois que Lucio a une Bible dans les mains, il l’a déjà lue et il lui semble que ce serait un excellent livre, si seulement on avait effectué un meilleur travail d’édition, si l’on n’y voyait pas les excès du romancier payé au mot. » (p. 133)
El último lector ne s’adresse pas aux amateurs de page-turners et de cliffhangers ; bien qu’il y flotte une atmosphère mystérieuse, à la frontière du magique, l’action est réduite à sa plus simple expression. Le roman n’est pas plus un chef d’œuvre ; il est un de ces livres qu’on referme sans pouvoir le classer parmi ses préférés ou ceux qu’on n’a pas aimés. Pour son originalité de forme, il mérite néanmoins une certaine estime ; il a d’ailleurs été récompensé du prix Colima, du prix Fuentes Mares et du prix Antonin Artaud.