Le Despote : chapitre 4

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La fête battait son plein. Quelle heure était-il ? Difficile de le dire ; Lysandre avait cessé de compter le nombre de rafraîchissements engloutis depuis longtemps. La vessie enfin moins pressante, il écarta le rideau qui tapissait le mur du fond et perfora tel un buffle les exclamations éthyliques de la foule. Sa destination ? Le comptoir le plus proche.

— Une bière, promptement ! requit-il en frappant par deux fois ses solides doigts sur le bar détrempé.

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Le Despote : chapitre 3

<<Chapitre 2Chapitre 3Chapitre 4>>

Malgré ses ors, le Palais des Congrès ressemblait ce soir-là, par sa fréquentation douteuse, à un vulgaire tripot squatté par des alcooliques en costume ou en robe de gala. Il hébergeait en effet le grand bal annuel du bourgmestre. Bars, lampions et notes d’accordéon accueillaient les nombreux électeurs du parti dominant sur le compte des contribuables. Fait amusant : même la rumeur de la foule, bien qu’indistincte et monocorde, avait l’accent liégeois. Quelquefois, des éclats de rires gras et asthmatiques s’élevaient pour mourir aussitôt. Cling ! Un verre se cassait quelque part.

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Le Despote : chapitre 2

<<Chapitre 1Chapitre 2Chapitre 3>>

L’enveloppe coûta vingt cents, le timbre un peu moins d’un euro, et le temps consacré à la rédaction et à l’acheminement de la réponse jusqu’à une boîte aux lettres publique, oh, approximativement une centaine d’euros. C’est du moins ce qu’estima Lysandre sur le chemin du retour. L’État belge, en sa qualité de responsable du dérangement, lui était redevable de la petite somme en question ; et, comme le trentenaire pressentait les difficultés qu’il aurait à la recouvrer, il décida de jouer au plus fin et d’aller chercher l’argent des autorités là où il se trouvait caché, c’est-à-dire sous les dehors gratuits d’activités pourtant bel et bien coûteuses.

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Almería 1522 : chapitre IV

<<Chapitre IIIChapitre IVChapitre V>>

Ses affaires réglées et sa prière de tierce dite, l’archidiacre Luis de Ordaz prit la direction de la cathédrale de l’Annonciation, où la messe devait sans doute s’achever. C’était une figure bien connue des Almériens. Il faisait partie des premiers chanoines à avoir mis les pieds dans la cité et avait obtenu son archidiaconé au cours de la deuxième décennie d’occupation chrétienne. En tant que vicaire judiciaire, il était un des religieux les plus influents de la ville, peut-être même le plus important.

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Le Despote : chapitre 1

Chapitre 1Chapitre 2>>

Lysandre Granitard était affalé dans un des deux fauteuils du salon, genou gauche par-dessus l’accoudoir, canette de bière suspendue dans le vide. Le peignoir à carreaux ne masquait qu’imparfaitement le marcel qui moulait son corps grassouillet ; ses pantoufles fatiguées menaçaient de lui tomber des pieds. Sous sa tignasse de cheveux non peignés, ses yeux vairons suivaient distraitement la compétition de pihote diffusée en direct par RTC Télé Liège depuis la place Saint-Lambert. Parfois, ils sortaient de leur torpeur pour s’extasier devant l’admirable puissance d’un jet, mais une fois l’émotion sportive passée ils retombaient dans l’engourdissement.

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Almería 1522 : chapitre III

<<Chapitre IIChapitre IIIChapitre IV>>

La ville d’Almería ne s’arrêtait pas à ses murs. Nombreux étaient ceux qui résidaient dans les faubourgs, notamment les agriculteurs et les artisans. Leur métier exigeait depuis tout temps, pour les premiers, qu’ils demeurassent près de leurs champs, pour les seconds, qu’ils s’éloignassent des centres urbains à des fins de salubrité publique.

La plupart de ces hommes étaient des morisques, c’est-à-dire des nouveaux chrétiens. Leurs aïeux avaient respecté les préceptes du Coran, et eux aussi — jusqu’à ce qu’en 1500, à l’issue de la deuxième révolte mauresque, on leur fasse abjurer leur foi.

Physiquement, ils se distinguaient très peu des Espagnols. Leurs ancêtres n’étaient ni Berbères ni Arabes : ils étaient Wisigoths. La conquête de la péninsule ibérique par les Omeyades au début du VIIIsiècle n’avait pas donné lieu à un remplacement de population ; seuls les dirigeants, la langue et la religion avaient changé. Certes, le sang s’était parfois mélangé, mais essentiellement dans les hautes sphères du pouvoir, rarement dans les basses couches de la société. Or, les derniers chefs de l’émirat nasride de Grenade et leur cour avaient choisi la voie de l’exil lors des mois qui avaient suivi la Reconquête. Bref, il ne restait plus qu’une seule ethnie d’hommes en terre andalouse.

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Almería 1522 : chapitre II

<<Chapitre IChapitre IIChapitre III>>

Le vent qui butait contre les murailles paraissait toujours s’amplifier dès qu’il en franchissait le crénelage. Les soldats qui veillaient les tours et les remparts de la ville, face balayée par Éole, avaient une vue plongeante sur l’horizon. La légende voulait que, depuis leur perchoir, ils fussent parfois en mesure d’observer les lointaines terres d’Afrique, mais jamais un de ceux qui étaient de faction en ce matin du 22 septembre 1522 n’avait eu l’occasion de vivre cette rare expérience, sauf en mirage peut-être. Tout ce qu’ils pouvaient apercevoir du sud depuis leur poste était l’échancrure bleue et étincelante dessinée par la Méditerranée par-devant Almería, et cette échancrure était à peu de choses près la seule ouverture de la ville côtière sur le monde.

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Almería 1522 : chapitre I

<<IntroductionChapitre IChapitre II>>

Le vent soufflait sur la baie d’Almería en ce lundi 22 septembre 1522. Une odeur âcre de poisson régnait le long des plages et de l’embarcadère. Le jour se levait à peine sur la ville côtière et déjà son port grouillait de monde.

C’était un port d’excellent mouillage, fréquenté depuis des siècles grâce à la topographie particulière de la côte qui permettait aux bateaux de se protéger du levant ou du ponant en fonction de leur lieu d’ancrage. Trois ou quatre siècles avant la Reconquête, les Maures avaient construit en son cœur une jetée afin d’agrandir sa capacité d’accueil. Elle s’y trouvait encore et, attachés à elle, des vaisseaux de guerre, des navires marchands et des barques de pêcheurs dansaient sur les vaguelettes troubles de la Méditerranée.

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Almería 1522 : introduction

IntroductionChapitre I>>

Les événements surviennent, les hommes qui les ont vécus en parlent, ceux qui leur succèdent en prolongent le souvenir, mais des témoignages entiers ou des détails s’oublient et les historiens et les conteurs comblent les lacunes du récit : l’histoire devient légende.

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Tombent les hommes : préface

Le roman policier se caractérise généralement par une enquête ou un événement mystérieux impliquant au moins deux des trois protagonistes suivants : une victime, un criminel et un enquêteur.

Dans son jeune âge, il s’est surtout focalisé sur le duel entre l’enquêteur et le criminel, en prenant pour héros soit l’un (Arthur Conan Doyle, Agatha Christie), soit l’autre (Maurice Leblanc). D’abord jeu de logique, il a adopté au fil du temps des teintes plus psychologiques (Georges Simenon), avant de voir émerger la figure du privé brutal dont l’investigation flirte avec l’illégalité (Dashiell Hammett, James Ellroy). Enfin, ultime évolution notable, il a mis en retrait le personnage de l’enquêteur pour mieux se concentrer sur la lutte entre la victime et le criminel (Mary Higgins Clark).

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