Escapade à Lanjarón

La route qui monte jusqu’à Lanjarón est sinueuse mais demeure suffisamment large pour réduire le danger qui guette les voitures à chaque virage. Est-ce parce que ce village des Alpujarras, juché à plus de six cents mètres d’altitude, mérite l’excellence ? Peut-être. Dès les premières maisons, on devine que la petite cité thermale, célèbre pour son eau dans toute l’Andalousie, a un cachet, une prestance. La notion du beau y est entretenue, développée. Dès l’entrée du village, à main droite, côté vallée, un parc dégringole les flancs de la montagne et mène aux ruines d’un vieux château dont on ne sait s’il fut construit par les maures ou les chrétiens. Le long de la route qui traverse le village, une chaussée plane qui jamais ne monte, ne descend ou ne tortille, fleurissent les hôtels, les commerces, les maisons. Dans le centre névralgique, près du rond-point, de nombreuses silhouettes font leurs achats, s’installent aux terrasses, taillent une bavette avec leurs voisins. Des marchands africains vendent baskets et casquettes sur le pavé, à proximité d’un jardin propre, taillé, ambitieux, où le bruit d’eau qui s’écoule invite les passants à flâner jusqu’à la piscine en plein air qui le jouxte.

Le samedi soir, tout le village se retrouve dans le centre et, enivré par les odeurs de bière et de friture, communie dans un joyeux brouhaha où diverses langues se côtoient. Quiconque s’aventure au-delà découvre un Lanjarón plus intime. Il y a l’église d’abord, l’église et son retable haut, lourd, chargé, doré, qui appelle le regard et invite à la méditation. Il y a la place de la mairie et ses statues que dans l’obscurité on pourrait prendre pour des êtres de chair. Il y a ces petites maisons aux portes d’entrée curieuses, pas plus hautes qu’un mètre soixante, ou ces tunnels tout aussi bas de plafond qui traversent une bâtisse et mènent à de minuscules ruelles intérieures pleines de surprises. Il en est une qui débouche sur une placette époustouflante, garnie de verdure et de fleurs, où règnent le calme, la beauté, la communion bienheureuse entre homme et nature. Lanjarón aime les fleurs et les plantes. On en retrouve sur de nombreuses devantures ou par dizaines aux balcons. Ces couleurs chatoyantes transmettent la joie de vivre à ceux qui transitent par le village.

Le dimanche matin, ma compagne et moi bifurquâmes vers l’extérieur, vers ces chemins qui montent, vers ces montagnes qui appellent, vers ces paysages grandioses. Nous franchîmes le pont qui surplombe le Lanjarón et empruntâmes les premiers lacets de pierraille, prêts pour l’enfer, déjà fouettés par les rayons de soleil. Il n’était que dix heures trente et déjà les rares coins d’ombre se rétractaient. J’avais le souffle court, je ne me sentais pas au mieux, mais plus nous nous élevions, moins je ressentais le besoin de faire des pauses. Les trois kilomètres et demi de montée constante jusqu’à plus de mille cent cinquante mètres d’altitude, couplés au harcèlement du soleil, n’eurent pas raison de ma volonté.

La route ne suivrait pas éternellement les indications du chemin balisé conduisant, après dix-neuf kilomètres de montée, à un pic dont j’ai oublié le nom ; aussi devions-nous rester attentifs au moindre croisement. Nous franchîmes deux ruisselets qui barraient notre route (la Fuente Mate Marques et la Fuente de la Luz). Nous savions que nous avions atteint le sommet de notre promenade, mais nous n’apercevions aucun chemin balisé qui offrait une redescente vers le Lanjarón. Nous continuâmes l’ascension sur deux cents mètres, puis nous revînmes sur nos pas, vers un arbre auprès duquel ma compagne semblait avoir vu une ouverture. Près de là, un cairn (ou une montjoie, bref une superposition artificielle de pierres indiquant un endroit particulier) attira mon attention. Nous nous aventurâmes dans le sentier broussailleux.

La végétation était dense, la pente escarpée ; nos chaussures menaçaient à tout moment de glisser et de nous entraîner des dizaines de mètres en contrebas. Nous ignorions si nous faisions fausse route ; je me demandais, en repoussant les branchages et en évitant que les ronces ne signent mes jambes, si ce chemin aux herbes jaunes et écrasées avait été ouvert par l’homme ou l’animal. La pente était si abrupte que la remontée me semblait hypothéquée. Alors nous piquions toujours plus vers le Lanjarón, prudemment, en croisant les doigts, et nous entendions le chant des flots se rapprocher. Nous gagnâmes des rochers qui paraissaient marquer la fin de la piste et l’échec de l’entreprise, mais ceux-ci débouchaient sur une épingle où un petit escalier naturel offrait une dernière rampe vers le cours d’eau. S’épanouissant à l’ombre de la falaise que nous venions de descendre, le Lanjarón se dévoilait enfin à nous. L’aire était calme, inoccupée, propice au pique-nique. Cependant nous n’avions emporté aucune nourriture avec nous et il nous restait encore sept kilomètres d’aventure.

Après quelques photos, nous franchîmes les flots et suivîmes les acequias qui bordaient l’autre rive. Les vues sur la vallée valaient le détour. Ce passage faisait de la randonnée une des plus belles de ma vie.

L’heure des dangers arriva. Par deux fois, il nous fallut passer entre le précipice à gauche et un mur rocailleux à droite qui, par sa gourmandise d’espace, nous empêchait de nous tenir droits sur le fossé d’irrigation.

Un peu plus loin, au moment de franchir un pont bordé de fougères, ma compagne cria.

« Tu as vu ? »

Avec ses mains, elle m’indiqua la taille du serpent qui venait de plonger dans les broussailles : cinquante centimètres de long, une demi-douzaine de centimètres d’épaisseur. Elle jeta une pierre dans les plantes sèches avant de franchir le pont en courant. Cela faisait des années que je guettais les serpents lors de mes randonnées en Andalousie, sans jamais en voir, et encore aujourd’hui je n’avais pas quitté le sol des yeux pour ne pas me faire surprendre, mais celui-là je ne l’avais pas vu non plus. Je fus d’autant plus vigilant lors des kilomètres qui suivirent, mais je ne perdis pas mon humour pour autant. Je fis remarquer à ma compagne qu’elle avait poussé des hurlements bien plus stridents et effrayés en début de randonnée quand des criquets sous son charme lui avaient sauté sur l’épaule.

La fin de route, chaude et monotone, comptait peut-être une heure en trop, mais le repas à la terrasse de la Bodega de Lanjarón n’en fut que meilleur.

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