Mourir en rêve

Dans une nuit à cheval entre un samedi et un dimanche, je ressentis une drôle de sensation — une sensation que j’avais déjà connue quelques semaines plus tôt, me sembla-t-il sur le moment, sans certitude toutefois, car les rêves n’ont pas leur pareil pour donner le contour de réalités à des chimères.

La sensation se situait au niveau de ma mâchoire. Ma mandibule s’était décalée du côté droit et me donnait l’impression d’être bloquée dans cette position. Je ressentis des élancements, peut-être même des tremblements. Ça n’avait rien d’agréable ; aussi fut-ce en fermant les yeux dans mon rêve — yeux pourtant bien clos dans la réalité — que soudain la sensation disparut. J’accueillis cette disparition comme une libération.

Il n’empêche que, curieux de ce phénomène, je décidai quelques instants plus tard de l’étudier, en décalant à nouveau ma mâchoire du côté droit. La sensation réapparut, décuplée. J’avais l’impression que ma mandibule trémulait aussi frénétiquement qu’un marteau-piqueur. Ce n’est pas que je souffrais de douleur — encore que —, mais l’expérience virait au désagréable ; aussi voulus-je recourir à la solution de fermer les yeux dans mon rêve une nouvelle fois… sans succès. Les secousses devinrent de plus en plus violentes, elles s’insinuèrent au-delà de mon seul visage, s’étendirent à tout mon corps, et je les ressentais comme réelles — encore maintenant, en écrivant ces lignes, je ne saurais dire de quel monde elles provenaient, du rêve ou de la réalité —, je les ressentais tellement comme réelles que j’en vins à prendre conscience que j’étais en train de succomber.

Ça y est. C’était maintenant que ça arrivait. C’était complètement inattendu et je ne comprenais pas la cause de ma mort annoncée. Était-ce une crise cardiaque qui me terrassait ? Il n’y eut aucune panique dans mon chef ; tout juste me dis-je « merde » à l’idée de quitter le monde si jeune, à même pas trente-cinq ans ; mais ce fut avec une sorte de résignation tranquille et apaisée que je me résolus à passer l’arme à gauche. Je ne pensai pas à mes romans inachevés, pas même une microseconde, non, c’était apparemment chose superfétatoire en cet instant capital, pas plus que je ne pensai à tous les êtres que j’allais abandonner sur terre. J’étais tourné vers l’avenir immédiat.

Manifestement, quand on mourait dans son sommeil, on se voyait malgré tout partir. On était conscient de ce qui se produisait malgré notre apparente évaporation hors de la réalité. Dormir n’empêchait pas de regarder la mort dans les yeux. Il y avait quelque chose de réconfortant dans ce fait.

Je ne me souviens pas comment je me sortis de cette situation désespérée ni comment le mal s’arrêta. Durant la journée du dimanche, je gardai une sensation de gêne à la mandibule.

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