Micronouvelle #6 — Déchéance

Ici, elle est pimpante. Son visage est frais, éclatant, ses dents blanches sourient. Elle regarde l’objectif avec complicité. Son chemisier clair, propre et bien repassé, s’ouvre sur une poitrine gonflée d’un espoir fou. Voyez la date, c’était en juin 2015.

Mais regardez plutôt, à peine trois mois plus tard. Avez-vous remarqué comme son sourire sonne faux ? Elle a des cernes sous les yeux, son visage est bouffi. On pourrait croire que c’est ce vilain pull et ce jeans délavé qui ne lui rendent pas honneur mais, si vous voulez mon avis, le photographe a dû adapter la garde-robe à l’impression que lui renvoyait le modèle.

Sur celle-ci, elle a les yeux vitreux. Elle est tout sauf fraîche. Oui, la photo est un peu floue. Oui, elle ne sait pas qu’elle est photographiée. Oui, il est sans doute tard, on est sans doute en pleine nuit. Qui n’a jamais fait la fête jusqu’au petit matin ? Qui n’a jamais fait d’excès ? Mais est-ce encore la même femme ? On peut déjà se le demander, non ?

Voyez la suivante. Avril 2016. Méconnaissable. Cheveux emmêlés. Le maquillage a coulé sur son visage. Son t-shirt est taché. Son pantalon déchiré ne cache pas grand-chose de ses jambes maigres. Et vous avez vu l’homme à ses côtés ? Son genre ?

Une suivante. Juin 2016. Il n’y a plus de doute possible. La bouteille qu’elle tient à la main, c’est de la vodka. Ses jambes sont couvertes d’ecchymoses. Et les tatouages qui couvrent ses bras, à votre avis, c’est pour cacher quoi ? On dirait qu’elle est incapable de tenir debout. Une loque humaine, une vraie loque humaine, voilà en quoi le monde de l’art l’a transformée. Elle ne remarque même pas qu’elle est traquée, qu’on la mitraille. Elle est ailleurs, dans son monde.

Et ici, ici… — Il fit une pause en déposant le dernier magazine par-dessus les autres. — Ah, quelle femme, quand même ! Ces cheveux pleins de vie, ces yeux qui pétillent… On la retrouve telle qu’on l’avait découverte. Jeune. Belle. Un brin mystérieuse. Elle, quoi ! Il aurait été immoral de la montrer sous un mauvais jour pour sa dernière une.

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