Hydra

La traversée en bateau ne fut pas ce que j’en attendais. Le temps était maussade, triste. Ma compagne et moi nous étions assis dans la cabine à côté d’une fenêtre que les intempéries avaient rendue sale et à travers laquelle on observait à grand-peine le paysage. Après une brève escale dans le port de Porros, un passager revint en courant du pont, trempé par une pluie abrupte. Dieu sait pourquoi, peut-être la météo, peut-être la surveillance de nos affaires, je n’avais pas ressenti le besoin de monter afin d’admirer la vue et respirer l’air du grand large. Je crois pourtant que c’était cet élément qui m’avait séduit à l’idée de faire une escapade en bateau.

Toujours est-il que, dans les pas d’une vingtaine de personnes, après une traversée d’une heure cinquante, nous débarquâmes sur l’île d’Hydra peu avant onze heures. Le port, de taille modeste, occupé par de nombreux bateaux privés, souffla immédiatement son charme vers nos yeux. Ses quais pavés et bondés de monde se coloraient de terrasses et d’enseignes. D’étroites ruelles s’en échappaient, tortillant vers les hauteurs lointaines et sauvages qui surplombaient la petite masse d’habitations serrées près du rivage.

Nous prîmes à droite et, après avoir contourné le port, nous sortîmes du village. Le chemin, plutôt plat, longeait la côte, nous laissant seuls avec la mer bleue d’un côté et les flancs de montagne orange et verts de l’autre. Il faisait de plus en plus calme. Parfois, quelques maisons s’écoulaient dans un pli de la terre jusqu’à nous et, en contrebas, on apercevait à l’occasion un nageur. Deux ou trois bouts de terre sortaient de la mer Égée, solitaires, désertés, îlots déjà conquis par le passé, en témoignaient les chapelles érigées sur leur sommet, îlots qui ne demandaient qu’à être reconquis par un homme aspirant à la tranquillité.

Nous n’avions pas le temps de parcourir les douze kilomètres qui nous séparaient de l’extrémité de l’île. Plutôt que d’opérer un demi-tour, nous prîmes à gauche et rejoignîmes les méandres du village, montant de plus en plus haut. L’endroit était désert, silencieux. Les portes avaient été protégées des intempéries, les volets baissés. Pas une âme ne semblait hanter les cimes du hameau. Parfois, mais rarement, une voix à travers une fenêtre nous détrompait, nous rappelait que nous n’étions pas tout à fait seuls. Quelques bâtiments avaient été abandonnés, d’autres tombaient en ruine. Nous ne vîmes pas moins de cinq ou six églises sur un espace très réduit, presque toutes à l’état d’abandon. Plus nous avancions dans notre promenade, plus je tombais amoureux du patelin. Pourquoi ? Le silence, probablement le silence. Nous entendîmes un instant des bruits de travaux, une disqueuse, sans quoi le calme absolu régnait. Ma compagne m’expliqua que les voitures étaient interdites sur l’île. Il est vrai que la circulation de celles-ci dans les étroites ruelles et les escaliers du village aurait été impossible. Seuls les pompiers possédaient deux fourgonnettes à Hydra — nous aperçûmes également une camionnette verte dans le port. Cette révélation — pas de voitures, pas de moteurs — me rendit encore plus épris de l’endroit. Je songeai : et si, plus tard, je venais me reposer ici ?

Nous mangeâmes dans une petite ruelle près du port. Alors que nous nous apprêtions à visiter la deuxième partie de l’île, un déluge aussi violent que soudain nous immobilisa durant de longues minutes sous le store de l’ultime magasin. Au vu des nuages qui noircissaient l’horizon, nous n’osâmes pas nous aventurer très loin, mais n’était-ce pas pour mieux revenir un jour dans cet endroit enchanteur ?

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