Geronimo à l’Exposition universelle de Saint-Louis

En 1904, on invita Geronimo à assister à l’Exposition universelle de Saint-Louis. Le vieux guerrier apache, captif en Oklahoma où il s’était reconverti dans l’agriculture, refusa l’offre, mais quand le Président des États-Unis Theodore Roosevelt himself renouvela l’invitation, Geronimo accepta.

Durant six mois, toujours escorté par des gardiens, il fut à la fois attraction et visiteur privilégié de l’Exposition. Attraction parce qu’il participa à des spectacles (notamment de lasso) et qu’il dédicaça des centaines de photos de lui contre rétribution (ce qui le rendit plus riche que jamais). Visiteur privilégié parce qu’on lui permit de déambuler au cœur des stands et de découvrir illusions et merveilles tirées du génie humain.

Dans ses mémoires (dictées deux ans plus tard), Geronimo revient largement sur cette Exposition universelle. Le chapitre, qui suit directement la longue relation des guerres indiennes, apporte un peu de fraîcheur au récit, la naïveté de Geronimo (depuis notre point de vue d’homme occidental du XXIe siècle, naïveté compréhensible somme toute) étant à la fois drôle et touchante. Ce témoignage direct d’un homme issu d’une société primitive soudain confronté à une civilisation développée, ce télescopage entre deux mondes, est remarquable à plus d’un titre, ce pour quoi j’ai décidé d’en reproduire de longs extraits sur mon site.

« Il y avait beaucoup de choses étranges dans ces spectacles. (…)

Dans l’un de ces spectacles, des hommes étranges avec des bonnets rouges et des épées curieuses semblaient vouloir se battre. Finalement leur chef leur disait qu’ils pouvaient se battre. Ils essayaient de se taper sur la tête avec ces épées et je m’attendais à ce qu’ils soient blessés tous les deux ou même tués mais aucun d’entre eux ne fut blessé. Il doit être difficile de tuer ces gens-là au corps à corps.

Dans un autre spectacle, il y avait un nègre d’aspect étrange. Le directeur lui lia les mains puis l’attacha à une chaise. Il était solidement attaché car j’ai moi-même vérifié et je ne pensais pas qu’il lui était possible de se détacher. Puis, le directeur lui dit d’essayer de s’en aller. Il se tortilla sur sa chaise pendant un moment puis se leva. Les cordes étaient toujours attachées mais il s’était libéré. Je ne comprends pas comment il a pu faire cela. Il avait certainement un pouvoir miraculeux parce que personne n’aurait pu se détacher tout seul.

Dans un autre endroit, un homme sur une estrade parlait au public. On plaça un panier sur un côté de l’estrade et on le couvrit d’une toile rouge; puis, une femme vint, se mit dans le panier et un homme recouvrit le panier avec la toile. Puis, l’homme qui avait parlé au public prit une longue épée et perça les deux côtés du panier, puis la planta dans la toile qui le recouvrait. J’entendis l’épée rentrer dans le corps de la femme et le directeur lui-même dit qu’elle était morte. Mais quand on enleva la toile de dessus du panier, elle sortit, souriante et quitta la scène. Je voudrais bien savoir comment elle a fait pour guérir si rapidement et pourquoi elle n’est pas morte de ses blessures.

Je n’avais jamais cru que les ours étaient très intelligents, sauf à l’état sauvage, et je n’avais jamais vu d’ours blanc. Dans un des spectacles, un homme avait un ours blanc qui était aussi intelligent qu’un homme. Il faisait tout ce qu’on lui disait de faire — porter une bûche sur son épaule, exactement comme un homme pourrait le faire, puis quand on le lui disait, il la reposait par terre. Il fit beaucoup d’autres choses et semblait comprendre exactement ce que son maître lui disait. Je suis certain qu’aucun grizzly ne pourrait être ainsi dressé à faire ces choses.

Une fois, les gardiens m’emmenèrent dans une petite maison qui avait quatre fenêtres. Quand nous fûmes assis, la petite maison commença à bouger sur le sol. Puis, les gardiens attirèrent mon attention sur quelques objets curieux qu’ils avaient dans leurs poches. Finalement, ils me dirent de regarder dehors et quand je le fis, je fus effrayé, car notre petite maison était montée très haut en l’air et les gens en bas, dans l’enceinte de l’Exposition, n’étaient pas plus gros que des fourmis. Les hommes se moquèrent de ma peur; puis ils me donnèrent un verre pour regarder à travers (j’ai souvent eu de tels verres que j’avais pris sur les officiers morts après les batailles au Mexique et ailleurs) et je pus voir des rivières, des lacs et des montagnes. Mais je n’avais jamais été si haut en l’air et j’essayais de regarder le ciel. Il n’y avait pas d’étoiles et je ne pouvais regarder le soleil par le verre parce que sa clarté me faisait mal aux yeux. Finalement, je reposai le verre et comme ils étaient tous en train de rire de moi, je me mis à rire aussi. Puis, ils dirent : “Sors!” et quand je regardai, nous étions dans la rue à nouveau. Quand nous fûmes en sécurité sur le sol, je regardai beaucoup de ces petites maisons monter et descendre mais je ne pus pas comprendre comment elles voyageaient. C’étaient de très curieuses petites maisons.

(…)

Nous allâmes dans un autre endroit et le directeur nous fit entrer dans une petite salle qui ressemblait à une cage; puis, toutes les choses autour de nous semblèrent bouger; bientôt, l’air était bleu puis il y eut des nuages noirs que le vent faisait bouger. Tout de suite après, il faisait clair; puis nous vîmes quelques blancs nuages minces; puis, les nuages devinrent plus gros et il se mit à pleuvoir et à grêler avec des éclairs et le tonnerre. Puis le tonnerre s’arrêta et un arc-en-ciel apparut au loin; puis, il fit noir, la lune se leva et des milliers d’étoiles apparurent. Bientôt le soleil se leva et nous sortîmes de la petite salle. C’était un bon spectacle mais c’était si étrange et si peu naturel que j’étais content de me retrouver dehors à nouveau.

Nous allâmes dans un endroit où on faisait des articles en verre. J’avais toujours cru que ces choses étaient faites à la main mais elles ne le sont pas. L’homme avait un curieux petit instrument, et à chaque fois qu’il soufflait dedans, sur une petite flamme, le verre prenait toutes les formes qu’il voulait. Je n’en suis pas certain, mais je pense que si j’avais un instrument de cette sorte, je pourrais faire tout ce que je voudrais. Il semble qu’il soit doué de charme. Mais je suppose qu’il est très difficile d’obtenir ces petits instruments sinon d’autres personnes en auraient. Les gens, dans ce spectacle, étaient si pressés d’acheter les choses que l’homme faisait qu’ils ne le laissaient s’asseoir de toute la journée. J’achetai beaucoup de choses curieuses là-bas et je les rapportai chez moi.

(…)

Il y avait quelques petits individus bruns à l’Exposition que les troupes des États-Unis avaient capturés récemment dans des îles très loin d’ici.

Ils ne portaient presque rien sur eux et je pense qu’on n’aurait pas dû leur permettre de venir à l’Exposition. Mais eux-mêmes n’avaient pas l’air de savoir grand-chose. Ils avaient des petits plateaux de cuivre et ils essayaient de faire de la musique avec, mais je pense que ce n’était pas de la musique — c’était seulement du bruit. Ils dansaient, cependant, au son de ce bruit et semblaient penser qu’ils donnaient un bon spectacle.

(…)

Je suis content d’avoir été à l’Exposition. J’y ai vu beaucoup de choses intéressantes et ai beaucoup appris du peuple blanc. C’est un peuple très gentil et très calme. Pendant tout le temps où j’étais à l’Exposition, personne n’essaya de me faire du mal. Si cela s’était passé chez les Mexicains, je suis certain que j’aurais eu à me défendre souvent. J’aurais voulu que tout mon peuple vienne à l’Exposition. »

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