Capileira la (dé)voilée

J’arrivai à Capileira vers 19 heures 15. Le soleil s’était déjà couché derrière l’horizon dans de rougeoyants jeux de couleur. Je pus voir les lumières du village dans ses ruelles escarpées et depuis ses hauteurs étoilées, mais la bourgade maure demeurait aussi mystérieuse qu’une femme voilée. Ses quelques maisons blanches et son clocher phosphorescent n’étaient qu’un regard brillant au cœur de l’obscurité. L’immensité était recouverte d’un pudique voile noir, lancé sur des formes et des courbes qu’on savait exister mais qu’on ne pouvait même pas deviner. Il faudrait attendre le feu de l’aube pour que s’embrase et se désintègre le niqab obscur au plus grand plaisir de mes yeux émerveillés.

Mais le matin fut sombre et bruyant. La tempête giflait de pluie l’importun prêt à se risquer dans le village, et ses sifflements intempestifs avertissaient avec autorité tous les autres qu’ils faisaient bien de rester cloîtrés chez eux. Je tentai bien une sortie, mais elle s’arrêta sur le pas de la porte d’entrée de l’hôtel, sous un préau. Je vis à peine, translucide derrière les rafales, la vague forme d’une montagne imposante, et rebroussai chemin, fouetté de pluie pour mon impertinence.

Ce fut la femme de ménage qui me signala que, si le vent soufflait encore, l’averse avait cessé. Comme les prévisions météorologiques n’auguraient rien de bon pour la suite de la journée et que mon corps rappelait à mon esprit que lui aussi avait des besoins, je partis vers le premier magasin. Les ruelles détrempées étaient balayées par Éole. Des filets d’eau s’écoulaient au milieu des venelles pentues, engloutis par le premier égout venu. Des visages apparaissaient çà et là.

Puisque l’accalmie semblait s’accroître lorsque je sortis du Coviran, j’en profitai pour prendre de l’altitude. Je montai le petit chemin caillouteux de la veille dans l’espoir d’enfin connaître Capileira — car, pour moi, Capileira ne se limitait pas à une bourgade de cent foyers, non, elle s’étendait endormie sur un flanc de montagne, ses plis, ses gouffres, ses pierres et sa végétation.

Je me retournai et, si je vis nettement le village blanc et ses cheminées fumantes, j’eus la désagréable surprise de découvrir qu’un voile gris avait remplacé le noir de la veille partout autour. Un énorme nuage s’était engouffré dans le ravin en contrebas et, virevoltant, tirant des langues grises par-dessus ma tête pour mieux censurer les quelques pics que j’apercevais peu avant, s’apprêtait à engloutir la plateforme que j’avais gagnée. Un juron espagnol sortit de ma bouche grimaçante. Le voile s’abattit sur Capileira puis sur moi-même à une vitesse fulgurante, se métamorphosa en burqa paralysante. De la buée me caressa furtivement le visage.

Enfin, sur les hauteurs apparut un trou, un trou dans lequel dormaient les cimes enneigées d’une montagne et un ciel bleu. Capileira, je le savais, allait se dévêtir aussi rapidement qu’elle s’était couverte : comme bien des femmes, elle est prompte à récompenser la patience.

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