Entre mariage et déluge

Je montais les marches au bras de ma compagne. Devant nous, nos familles. En pénétrant à l’intérieur de l’édifice, je baissai les yeux et me demandai pourquoi je n’avais pas mis un gilet en dessous de mon costume car, mince, après tout, ce n’était pas rien comme événement ; j’aurais pu me faire plus beau. Mais ma compagne, à côté de moi, n’était pas mieux lotie : elle n’était même pas vêtue de blanc. Les couleurs qu’elle portait étaient grises et roses, en bandes lignées, et son vêtement avait des allures sportives. On aurait dit qu’une certaine précipitation avait précédé notre entrée.

Un désordre mouvementé régnait à l’intérieur de l’église. Il y avait énormément de monde. Ma compagne s’éclipsa sur la gauche afin de saluer quelqu’un, et moi je suivis seul le cortège de mon propre mariage. Non loin du chœur, je m’arrêtai et revins même sur mes pas, un peu gêné de l’abandon dont j’étais victime ; ma promise me rejoignit et nous gagnâmes nos places de choix — deux sièges spacieux. Bien que nous fussions assis devant l’autel, la cérémonie n’avait pas encore commencé. Les gens s’installaient encore à gauche et à droite — et il y en avait vraiment beaucoup. Même le chœur était rempli de sièges occupés : l’église était prise d’assaut, et ni moi ni ma compagne ne savions qui étaient tous ces gens. Ceux-ci faisaient-ils partie de ma famille ou de la sienne ? Et ceux-là, qui étaient-ils ? Rares étaient les visages que je connaissais. Je me souviens que ma grand-mère paternelle vint s’asseoir face à nous et nous parla quelque peu.

Soudain, une angoisse me saisit : mais pourquoi diable nous mariions-nous alors que nous n’étions en couple que depuis un mois et demi ? D’ailleurs, comment cela se faisait-il que nous nous unissions avec une telle hâte ? Je n’avais aucun souvenir de comment la noce avait pu s’organiser… Ce n’était pas possible ; cette cérémonie ne pouvait avoir lieu : ah ! Si le ciel avait pu nous envoyer un Deus ex machina pour nous sauver de cette précipitation suicidaire ! S’il pouvait se produire quelque événement inattendu ! Il y eut bien quelqu’un qui s’écria à hauteur d’une des portes de sortie, comme s’il se passait quelque chose à l’extérieur, et je tentai bien de sauter sur l’occasion pour m’éloigner du centre de l’église, mais on me fit rasseoir aux côtés de ma compagne. Alors, conformément à ce qu’elle attendait de moi depuis toujours, et malgré l’angoisse intérieure qui m’habitait à ce propos, car après tout ce n’est pas rien d’oser exprimer pareils doutes auprès de sa douce lors d’une telle journée, j’osai lui parler de la chose ; et elle semblait sur la même longueur d’onde que moi.

Pouf. Nous nous retrouvons sur le seuil de notre maison — une vaste maison, plutôt cossue, de plusieurs étages. Elle est en train de rentrer, moi déjà à l’intérieur. J’aperçois soudain que la catastrophe nous fond dessus à une vitesse folle : des torrents d’eau, sur le point d’emporter ma compagne et de pénétrer dans la maison par la porte ouverte. Aussitôt, je la fais rentrer de force ; puisque la menace se situe dans son dos, elle n’en a pas conscience, et il y a dans ses yeux de l’insouciance et de l’incompréhension. Je parviens à fermer la porte à temps, juste comme les flots arrivent à notre hauteur. Ouf ! Je nous fais monter les escaliers.

« Viens chérie, viens vite. »

Mais à chaque étage, même scénario : je vois à travers les vitrages que l’eau qui inonde la terre continue de grimper toujours plus haut, et je nous fais gravir un étage supplémentaire. Lorsque nous arrivons au dernier, les flots arrivent encore au niveau de la fenêtre et la surmontent : la maison se fait engloutir.

À cet instant, je réalise que les châssis et vitrages sont résistants, et donc que nous pourrons survivre dans cette bulle d’air jusqu’à ce que le niveau des eaux revienne à son pristin état. Je prends conscience que nous sommes élus et que, contrairement à nombre d’humains, nous allons survivre à cette catastrophe, à ce nouveau Déluge. Aussi, je reviens dix minutes en arrière et, dans la précipitation, je cours à travers les rues chargées de gens et de violence jusqu’au supermarché. Mon objectif est de ramener le plus de victuailles possible à la maison, où m’attend ma compagne, loin de tout danger. Je veux tout faire pour qu’elle survive…

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