Micronouvelle #1 — La Moche et le Beau

C’est vrai, il y a bien Patrick le boutonneux qui me court après, mais il n’empêche. À chaque fois que je me regarde dans un miroir, je me trouve moche. La beauté, c’est quelque chose qu’on reçoit à la naissance, et moi, les fées n’ont pas voulu m’offrir ce présent quand elles se sont penchées par-dessus mon berceau.

C’est sans doute parce que je suis moche, d’ailleurs, que Stéphane m’a laissé ce petit mot sous l’oreiller. Stéphane, c’est le plus beau de la classe. Celui dont je rêve pendant les cours, celui dont j’écris le nom sur mes fardes. Je crois que tout le monde sait que j’ai le béguin pour lui, lui y compris, mais cela fait un an que j’attends. Un an. S’il voulait vraiment se mettre en couple avec moi, il se serait manifesté avant et dans d’autres circonstances qu’une retraite de classe, non ?

« Sophie, à deux heures du matin, descends à la cuisine. Je t’attendrai. Ne dis rien à personne. Stéphane »

Je sais ce qu’il veut. Je sais ce qu’il attend de moi. Et je suis prête à le lui offrir. Quand on est moche, on s’adapte, on accepte. Mes dix minutes de plaisir resteront à jamais un secret entre lui et moi, mais ce sera le plus beau que jamais je renfermerai. Car quand on est moche, c’est comme ça : tout se passe à l’abri des regards.

Je ne dois même pas lutter contre la fatigue ; l’excitation suffit à me maintenir éveillée. Sous les draps, sans cesse je consulte l’heure. Et quand arrive celle que j’attends, je quitte le dortoir des filles sur la pointe des pieds. Fiévreuse, je descends l’escalier qui grince. Je rentre dans la cuisine. Il fait noir. Je tremble et je ne sais pas si c’est la peur ou autre chose.

Il referme la porte derrière moi et son corps se plaque contre le mien, ses lèvres plongent dans mon cou, ses mains explorent mon corps. Il me déshabille et je me laisse faire. Mes doigts timides caressent sa puissance tandis qu’il m’abaisse vers la table. Il fait noir et je me sens toute chose. Je n’aurais jamais cru que les sensations seraient comme ça, mais c’est Stéphane et nous haletons tous les deux de bonheur.

Soudain, la porte s’ouvre derrière nous et quelqu’un appuie sur l’interrupteur. Monsieur Longdoz apparaît en pyjama ; il a sa tête des mauvais jours. Nous nous dégageons maladroitement et je découvre avec horreur que Stéphane est en fait Patrick le boutonneux.

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